Site original : Journal d'un avocat
Par Bobcat
J’aime mon métier. Il est vrai qu’à la loterie de l’affectation, j’ai été un peu déçue d’échouer à un poste à haute teneur administrative, le secrétariat de la Première Présidence d’une Cour d’appel, ce n’est pas vraiment le poste dont on rêve quand on passe le concours. J’ai néanmoins la chance de travailler au sein d’une équipe sympathique, dynamique et supervisée par une GEC[1] compréhensive et des magistrats agréables, compétents, qui se sont tout de suite attachés mon respect et mon estime. Alors j’aime mon métier.
Depuis le début de la mobilisation, je lis les articles qui parlent de nous et de notre profession, et même si j’avais conscience de faire partie du côté obscur du métier (non seulement, nous portons une robe noire mais en plus nous sommes dans l’ombre. Greffier ninja!), je ne m’attendais pas à lire certains commentaires désobligeants proposant de supprimer notre profession de “gratte-papier” et de nous remplacer par des logiciels de reconnaissance vocale.
La méconnaissance que le grand public peut avoir de notre métier est particulièrement blessante quand on sait que le greffe est en première ligne face au justiciable. Le greffe est le premier contact du public avec la justice et pourtant, rares sont ceux qui savent vraiment ce que fait un greffe. Non, nous ne sommes pas limités à de la prise de note même si c’est souvent l’impression que nous donnons. Non, nous ne faisons pas que des photocopies même si nous passons tellement de temps devant le photocopieur que nous avons tendance à lui parler pour l’encourager à aller plus vite quand nous nous croyons seuls.
Nous sommes fatigués (j’ose m’inclure, vous comprenez, je suis solidaire de mes collègues même si je ne suis pas encore abîmée par le métier). Fatigués d’essuyer les plâtres, fatigués d’avoir l’impression de compter pour des nèfles, fatigués de ne pas être estimés à notre juste valeur alors que tous les jours nous sommes des milliers à nous casser la chute de reins pour que le fauteuil roulant de la Justice roule un peu plus loin malgré tous les bâtons qu’elle se met elle-même dans les roues.
J’ai peu d’espoir que notre mobilisation des ces derniers temps nous obtienne quoique ce soit. Mais si nous ne faisons pas entendre nos voix, personne ne le fera pour nous.
Alors je fais grève aujourd’hui, même si je suis venue travailler parce que les deux tiers des urgences devaient être traitées avant mercredi et même si je repasserai sans doute ce soir, histoire de vérifier que tout est bien carré.
Et je vais aller manifester tout à l’heure en robe parce que j’aime mon métier. J’aime mon métier, je trouve ça immensément gratifiant de faire partie de ce rouage de la démocratie. J’en tire une grande satisfaction et un incommensurable honneur. C’est peut-être un peu ridicule de dire ça, mais j’aime mon pays et ça me fait plaisir de me dire que grâce à moi, à ma maigre participation, ma nation peut exercer son droit régalien de rendre la Justice. C’est aussi très idéaliste, mais que voulez-vous, je suis (encore) jeune et l’idéalisme est ma prérogative.
Bobcat
[1] Greffier en chef. NdEolas
Par un bébé greffier arrivé à maturation
J’ai fait un pacte avec la justice : Parcours d’Accès aux Carrières Territoriales de l’Etat
J’ai fait un pacte avec la justice, qui m’a sauvé la vie ce 3 septembre 2007, jour de mon affectation en tant que catégorie C dans une prestigieuse cour d’appel. J’avais 20 ans et j’ai tout plaqué pour monter à Paris
Pas de parcours universitaire, pas de bac en poche, juste une furieuse envie de faire quelque chose de ma vie ; ça y est on m’avait enfin donné ma chance !
Pour moi le monde judiciaire (même si je n’y connaissais strictement rien à l’époque) était un monde où j’avais la sensation d’apporter quelque chose aux autres.
J’ai travaillé quelques années dans un service visiblement évité par tous et où on m’avait placée : et oui ! petite dernière arrivée oblige : Apostille[1] ! Quel doux mot. J’en avais des joujoux , des beaux tampons ! Quelques centaines de justiciables par jour, deux personnes au guichet, le public énervé par l’attente. Ce fut difficile mais pas sans émotions.
Ainsi, lorsque cette femme ayant, au bout de quelques années d’attente enfin obtenu l’adoption de sa petite fille, vint nous voir les yeux rouges pleins de larmes une plante dans les bras pour nous dire : « j’ai quelque chose à vous annoncer, nous avons ramené notre petite fille mais mon mari n’a pas survécu à un crash d’avion en allant la chercher… » C’est ce jour là que j’ai tout compris.
J’ai fait plusieurs autres services et puis, un jour, j’ai enfin eu les années d’ancienneté requises pour passer ce fameux concours de greffier en interne.
J’ai obtenu ce concours avec l’aide de beaucoup de personnes, qui m’ont apporté leurs connaissances, leur savoir, leur aide et leur soutien. Oui, comme me le disait une collègue ce métier fait rencontrer des personnes avec qui l’on partage beaucoup de choses.
Une fois ce concours obtenu, à 25 ans, j’ai fait (comme l’a dit Max) “la potiche, le stagiaire, le TÉKITOI” pendant 18 mois…18 mois où je suis restée passionnée, mais parfois désespérée aussi …
- déçue quand on m’a annoncé qu’évoluer dans sa carrière c’était bien mais que l’ancienneté ne serait reprise qu’aux deux tiers…
- agacée quand, à une réunion lors de mon dernier passage à l’école, on nous annonça qu’il n’était pas possible de permettre aux greffiers, en pré-affectation sur leur poste, de récupérer leurs heures supplémentaires, qu’ils ne donneront pas officiellement l’autorisation d’en faire, parce que, vous comprenez, sinon les 18 mois de formation ne seraient pas justifiés, qu’elle passerait à 1 an et que par conséquent la revalorisation de notre statut/indice ne pourrait se faire !
- dubitative, quand notre ministre nous annonça en personne à l’école que notre revalorisation sera reconsidérée en 2015… quand je vois le résultat aujourd’hui….justice du 21e siècle…
J’ai intégré le service de l’instruction en région parisienne pour ma première affectation en tant que greffier, je suis passionnée par ce service, comme Wonderwoman l’a si bien expliqué, cette multitude de compétences et de rapports humains et à la fois passionnant et émotionnellement difficile, mais je ne regrette en rien mon choix.
Mais je suis fatiguée quand je vois quel combat c’est d’être greffier stagiaire dans ce genre de service où les heures ne se comptent pas et où il est impossible de se les faire payer et presque impossible de les récupérer…
Aujourd’hui, titularisée depuis peu, j’ai 27 ans et cela fera 7 ans en septembre que je suis fonctionnaire de la justice ; 7 ans mais mon point d’indice n’a que très peu évolué et mon salaire a augmenté d’à peine 100 euros…
Je n’ai pas perdu cette passion pour ce métier et je continue toujours de l’aimer autant et d’y passer une grande partie de mon temps au détriment de ma vie privée parfois.
Toutes ces histoires entendues, ou ces photos sordides vues, m’ont parfois brisée mais m’ont toujours donné envie de continuer parce qu’un greffier (ou autre) passionné, c’est un bon greffier!
Alors oui je suis en colère : j’ai fait un pacte avec la justice un jour, j’ai promis cette année là en 2007 devant un jury de m’investir plus que jamais si elle me donnait ma chance.
Je suis en colère parce que j’ai tenu ma promesse et fait plus encore.
Je suis en colère parce qu’ils sont avec moi des milliers à le faire, des C jusqu’aux A.
Et que je ne supporte plus d’entendre “il faut faire des efforts”. Ces efforts nous les faisons, tous les jours mais je ne suis pas certaine du tout, qu’en face, on les voie, les apprécie ou les considère.
Je vous remercie Maître pour ce si bel hommage, et pour cette opportunité d’expression.
Loin de moi la prétention d’avoir une aussi belle plume que certains mais je souhaitais vous faire partager cette expérience peu commune qu’est le contrat-Pacte.
[1] L’apostille est une procédure de légalisation simplifiée, prévue par la Convention de La Haye du 5 octobre 1961. C’est une authentification normalisée d’un acte judiciaire français afin d’assurer aux autorités d’un Etat étranger lui aussi partie à cette Convention que le document est bien authentique, afin qu’il puisse produire des effets juridiques dans ce pays étranger. Très utilisé en matière d’adoption internationale notamment. NdEolas
Par G.I. Max, un greffier (presque) idéal…
Je suis un greffier travaillant dans un service correctionnel, titulaire depuis peu, et comme le maître des lieux offre son blog comme tribune pour s’exprimer j’aimerais décrire ma (très brève) expérience. Partager des moments de vie du greffe, qui ont fait que si je suis en colère aujourd’hui, la passion (naissante) est restée intacte. Il y a 3 étapes dans la vie de greffier. La première c’est la découverte, celle où tout est possible, tout est émerveillement, des robes d’audiences au langage si particulier. C’est la période de scolarité puis de stages. Puis vient la routine, où s’installe le train-train quotidien, où les audiences deviennent notre lot quotidien et l’on n’y fait plus attention. Dans la majorité des cas, ça s’arrête là. Mais parfois un événement change la donne, le simple battement de cil d’une greffière en chef ou un mail anodin. Oui, parfois, un petit rien peu tout faire basculer. C’est cette histoire que je veux vous conter.
Tous les fonctionnaires ont vécu la même chose. Chaque carrière commence par une liste. Une simple liste. Et un classement. Les réactions diffèrent. Certains se disent : « Ah bon, j’avais passé ce concours moi ? » quand d’autres fondent en larmes car c’est l’aboutissement de longues années d’études. Moi je n’étais ni dans l’une, ni dans l’autre situation. J’étais juste heureux d’avoir réussi un concours que je pensais avoir sérieusement loupé. A cause d’un oral où je ne fus pas des plus brillants, ayant confondu Perrault avec Pergaud (oui, c’est une honte, je sais).
Vient ensuite le temps de la scolarité. Quelques semaines à l’école, pour apprendre les bases de son futur métier. Puis quelques mois de stages en juridiction pour voir qu’en fait, ce n’est pas du tout ce que l’on a appris à l’école.
De ces stages, je retiendrai avant tout des rencontres magnifiques, des histoires touchantes aussi. Et pour bien commencer, à peine arrivée dans la boutique, le stage découverte, celui que l’on fait pendant 2 semaines, en tout, tout début de scolarité. Dès le premier jour, je me suis retrouvé dans le grand bain quand à midi, avec ma compagne d’infortune nous avons eu l’honneur de manger avec des stagiaires plus anciens (appelés aussi en juridiction « bébé greffier » ou « TéKiToi ») qui nous ont dépeint un tableau des plus horribles. « Les stages c’est l’enfer vous verrez ». « Et puis elle, c’est la pire, vous allez souffrir ». OK, je pleure tout de suite ou je peux finir mon steak frite ?
Mais plus le temps a passé et plus je me suis dit que ça n’était pas si mal. Alors certes, il y a eu des jours “plante verte”, où je suis resté dans mon coin, n’osant signaler ma présence. D’autres jours bouches trous, où j’ai fait le boulot que personne ne voulait (mais bon, c’est le métier qui rentre).
Et puis il y a cette audience au correctionnelle qui ne veut pas finir, la greffière qui reçoit un appel pendant la pause, personne ne peut aller chercher ses enfants à l’école, et ils sortent dans 10 minutes. Il reste une quinzaine de dossiers, on n’est pas sorti avant au moins 20 heures. Et dans son malheur elle me propose de m’en aller, parce que je suis en stage. « Heu, non je vais rester, si je peux t’aider ». Au final, elle aura trouvé quelqu’un et on aura fini à 21 heures. Parce que, oui, ça bosse dans les greffes, mine de rien.
En près de 7 mois, j’ai vu des collègues débordé(e)s, pour qui l’arrivée du TéKiToi était vécu comme une véritable bouée de sauvetage. J’ai d’ailleurs parfois craint d’être séquestré (c’est ça d’être un TéKiToi efficace). Mais j’ai aussi vu des collègues parler avec passion d’un métier qu’elles aiment. Et puis il y a aussi ces histoires, ce jeune homme en HO (hospitalisations d’office pour les non-initiés) qui craque en pleine audience et fait ressortir tout ce qu’il avait enfui en lui depuis de trop longues années, les regards qui se croisent avec la greffière, les larmes qui commencent à monter, et se dire qu’il faut se ressaisir. Ou alors cet enfant qui dans la confidence d’un cabinet du juge des enfants avoue qu’il préfère vivre avec son père, parce que maman elle ne lave jamais mes vêtements, que ça sent pas bon chez elle, lui qui réussit à nous faire rire en demandant comment on devient juge parce que ça doit être bien de pouvoir avoir un grand bureau. Bref, rapidement les stages sont finis et on choisit notre poste.
Pour moi, ça sera le service correctionnel d’un tribunal de province, en gros des audiences pénales. Le choix que je voulais, c’est parfait. Et puis avoir son propre bureau, il n’y a rien de mieux. Même si, comme on est le dernier arrivé, ce n’est pas le plus enviable des bureaux dont on hérite. Bref, après quelques semaines d’adaptation (et un retour express à l’école, pour revoir ses amis et, éventuellement être formé sur son futur poste) je suis complètement installé. Mes nouveaux collègues sont, pour certains devenus des amis. Et je commence même à former mes premiers stagiaires, dont certain(e)s nous abreuvent de questions.
Viens ensuite la première audience, celle qu’il faut prendre tout seul, comme un grand. Le réveil est difficile le matin, la nuit a été courte et les papillons qui volent et virevoltent dans le ventre, la gorge qui se serre plus les minutes avancent avant que le magistrat n’arrive et que les débats soient ouverts. Et puis plus les audiences s’enchaînent, moins on angoisse. Certes, il y a toujours un peu d’appréhension, mais la confiance s’installe peu à peu, et je prends le rythme.
Et la routine s’installe. Une audience, des jugements à « mettre en forme », à faire signer, puis l’audience à exécuter. Inlassablement. Il y a aussi le courrier à traiter. Et puis il y a les gens. Quand une audience finit à 22 heures, un justiciable resté jusqu’au bout, me dit : « Finalement, ça bosse les fonctionnaires ». Un jeune délinquant qui rentre avec ses amis (complices ?), dans le bureau et qui me dit qu’en fait je fais juste des copies et des tampons, c’est pourri comme boulot. Et l’un de ses amis qui lui dit : « T’es ouf ou quoi, ils font pleins d’autres choses, wesh le greffier, j’ai pas raison? ».
Après 6 mois d’apprentissage sur mon poste, arrive enfin le moment de la titularisation. Ça y est, je ne suis plus un bébé greffier, plus un TéKiToi. Je suis devenu un grand, l’espace d’un week-end seulement. Et la vie continue. Certaines audiences où l’on finit tard et les magistrats qui nous abandonnent à la fin, nous laissant seul avec les prévenus pour la plupart devenu condamnés à qui l’on doit remettre des papiers, faire signer des notifications, expliquer la peine ou sa mise en œuvre et les fameux droits fixe de procédure, et bien souvent écouter les reproches, si ce n’est les insultes, voir les menaces. Certaines histoires cocasses comme celle de ce voleur du dimanche qui se ballade en survêtement jaune fluo avec une grosse boite à outils orange flashy en plein jour pour voler des autoradio et qui ne comprend pas comment on a bien pu le reconnaître. D’autres beaucoup plus touchantes, comme celles de ce garçon qui a pris le volant et qui n’aurait pas dû, de l’alcool, une dispute avec sa petite amie, une vitre brisée, un virage un peu serré, un arbre et son meilleur ami à jamais envolé. Lui totalement effondré, et dans la salle d’audience, chacun retient ses larmes (ou pas d’ailleurs, une justiciable victime dans une autre affaire de l’audience éclate en sanglots) quand l’avocate de la défense lit la lettre d’excuse que le prévenu à écrit aux parents de la victime. Et la famille de ce jeune homme qu’il faut rassurer à la fin de l’audience, à qui il faut expliquer que non, votre fils n’ira pas en prison, la peine aménageable. Essayer de trouver les mots, alors qu’à 26 ans seulement, je ne sais pas vraiment quoi dire. Et leur souhaiter bonne chance pour la suite. Personne à qui raconter cette histoire, le soir, en rentrant dans mon petit appartement. Bref, le lot du quotidien.
Depuis le début je savais que le ministère de la justice c’était pas vraiment le jackpot. Qui n’a pas vu à la fac que la France est 37ème sur les 43 pays du conseil de l’Europe en matière de budget de la justice, qui manque de moyens financiers et humains. Et puis mon père, qui, me demandant mon salaire me fait remarquer que j’ai le même indice que les contrôleurs des douanes, alors que j’ai été recruté à bac + 2 quand ces derniers le sont niveau bac. Et lorsque lors d’une rencontre avec des lycéens, un jeune me demande mon salaire. Et qu’il me répond : « Ouais, en fait c’est nul, genre tu dois faire de longues études pour être moins payé qu’un éboueur, moi je préfère arrêter l’école et ramasser des poubelles, en plus t’es dehors et pas enfermé dans un bureau »…
Alors oui, il aura suffit d’un mail en provenance d’Agen pour avoir envie de faire bouger les choses, pour se dire qu’il y en a marre de subir, qu’il faut se battre. Parce que bosser pendant 42 ans (jusqu’à 68 ans pour moi, au mieux) dans ces conditions, ça ne sera pas possible. Si certains font ce métier par défaut, ou en attendant mieux, d’autres le font avec passion, malgré les difficultés. C’est pour nous, pour eux, pour vous aussi, oui, vous qui nous lisez et qui subissez les conséquences. Les retards parce que l’on manque de temps, toujours, de matériel, parfois. Les délais qui se rallongent, les tribunaux qui s’éloignent et vos problèmes qui restent quelquefois sur le bord de la route, vous attendant à côté. C’est pour cette raison que je ferai grève le 29 avril. J’aime mon métier, et j’aimerai que l’on me le rende bien (enfin un peu, même pas beaucoup, mais un peu quoi…)…
Par Famalice, greffière à l’application des peines.
Les greffiers, depuis un mois, dans les journaux et ici-même depuis une semaine ont tellement bien parlé de ce métier je ne voudrais pas répéter ce qui a déjà été dit. Je m’arrêterais donc sur des exemples de moments qui, en 20 ans de carrière, m’ont « chiffonnée »…
Arrivée au greffe de l’instruction à 8 heures pour pouvoir travailler tranquillement car, bien évidemment, le greffier d’instruction n’a pas que les interrogatoires et auditions, il y a tout ce qui va avant et après. Mais, le magistrat n’arrivant qu’à 11 heures, il a assez d’énergie pour terminer sa journée plus tard que moi. Ça m’énerve
Faire un transport de nuit, se coucher à 4 heures du matin, et être obligée d’ouvrir à la même heure le greffe le demain matin. ça m’énerve
Etre de grande semaine instruction c’est à dire de permanence donc travailler 2 semaines non stop y compris le week end, cela ne pose de problème à personne, ça m’énerve
Que votre magistrat ne prenne pas de congés et ne veuille aucun autre greffier que vous, qu’il paraisse normal à votre greffier en chef que vous fassiez de même, ça m’énerve
S’exploser le genou sur les marches du palais de Paris, être forcée de continuer à prendre les PV la jambe allongée sur une chaise et aller à l’Hôtel-Dieu tout seule, ça m’énerve
La formule « copie de l’entier dossier » quoi qu’il arrive alors que le dossier est consultable au greffe et que dans certaines procédures les ¾ du dossier n’ont aucun intérêt. Ça m’énerve
Je suis énervée également lorsqu’un avocat qui assistait déjà la personne en première instance n’a pas demandé de copie et le fait devant moi en appel sous prétexte que je ne râlerais pas (paraît que je suis gentille) et bien évidemment 4 jours avant l’audience alors qu’il est avisé de celle ci depuis 2 mois. Ça m’énerve
Pendant l’audience que le Président ne se rende pas compte qu’il y a trop de bruits et que je n’entends rien pour prendre ma note d’audience : ça m’énerve
Que les avocats viennent me poser des questions pendant que je prends mes notes. Ça m’énerve
Que l’audience continue lorsque j’ai besoin de m’absenter pour régler un problème. Ça m’énerve et j’acte dans mes notes.
Qu’on me demande de faire des zoom avec la télécommande de la visioconférence alors que je prends mes notes. Ça m’énerve. J’ai bien essayé d’avoir un œil sur mon stylo et l’autre sur l’écran mais sans succès.
Que la visioconférence ne fonctionne pas ou fonctionne mal et que toute la Cour se retourne vers moi comme si j’en étais responsable : ça m’énerve
Lorsqu’à la fin de l’audience, le président discute avec ses conseillers et le ministère public comme si je n’étais pas là : ça m’énerve.
Lorsque toujours devant moi il demande à ses conseillers et à l’avocat général s’ils veulent manger un petit bout quelques part et pas à moi : ça m’énerve
Entendre un magistrat délégué syndical me demander naïvement : je n’ai pas bien compris ça sert à quoi un greffier : ça m’énerve mais alors beaucoup beaucoup ( non je ne lui ai pas fait manger son code mais ce n’était pas loin)
et le gros gros truc qui m’énerve c’est lorsque des magistrats se demandent pourquoi on manifeste alors que :
Je suis le greffier de la chambre de l’application des peines. La chambre dont tout le monde se fiche. Elle ne concerne que des condamnés, pas de délais à respecter ou si peu donc si je devais me cantonner à mes tâches :
j’attends que les dossiers d’appel arrivent
j’attends que le président et l’avocat général viennent les voir pour me donner une date d’audience
je convoque
je vais à l’audience
je mets en forme les délibérés
je notifie les délibérés
je range le reliquat dans les cartons
La réalité : les décisions du juge de l’application des peines sont exécutoires par provision c’est à dire que les personnes libres et condamnés à de l’emprisonnement peuvent aller en détention même si elles ont fait appel. Il s’agit souvent de peines courtes, l’appel devient facilement sans objet. Alors oui ce sont des condamnés mais il y a des textes à respecter. Le législateur a estimé que ces personnes ont droit de faire appel et les textes doivent être respectés, c’est ça être garant de la procédure aussi. Ce que je fais en réalité :
dès réception de la déclaration d’appel je me jette sur le logiciel national pour voir la situation de l’intéressé pour savoir si je dois demander le dossier en urgence. Il m’est arrivé d’audiencer un dossier bien avant de recevoir le dossier à l’aide de 3 logiciels nationaux qui me permettent de récupérer pas mal d’informations et de plusieurs appels téléphoniques au greffier du JAP, au greffe des maisons d’arrêts et au conseillers d’insertion et de probation.
à l’arrivée des dossiers, je mets de côté les appels irrecevables, sans objet, les désistements, je prépare les réquisitions et une fois celle ci signées l’ordonnance : ça permet de gagner du temps car„,tant que cela n’est pas fait même si ce sont des décisions qui ne paraissent pas importantes, tant que l’irrecevabilité ou le désistement n’est pas constaté, la situation de la personne ne sera pas définitive et il ne pourra bénéficier des réductions de peine, ne pourra pas faire réétudier sa situation avec son nouveau projet. J’ai connu un détenu qui est sorti en « sortie sèche » parce que l’appel ne m’était pas parvenu. Lorsque la détention m’a fait part du problème, avec les réductions de peines auxquelles il aurait eu droit il aurait pu sortir 1 mois plus tôt. Je n’ai pas demandé le dossier mais ai demandé au parquet général de signer un ordre de libération.
Je décide de l’urgence des dossiers et les audiences seules. Je ne vois aucun magistrat ni du parquet ni du siège qui vient consulter les nouveaux dossiers.
Je vais à l’audience bien évidemment
je ne mets pas en forme les décisions sinon je peux vous assurer que la plupart d’entre elles reviendraient pour difficulté d’exécution. Je rédige souvent le rappel des faits et le par ces motifs car sinon les arrêts se termineraient par : confirmation ou infirmation. C’est un peu léger pour faire exécuter un arrêt. Dès que j’ai connaissance de la décision je dois souvent regarder ce qu’il va advenir du condamné. Certains vont sortir rapidement en libération conditionnelle. Je contacte souvent le SPIP pour avertir afin que, sans dévoiler la décision avant la date, ils puissent organiser la sortie au cas où. Il y a aussi les placements sous surveillance électronique. Et non, mesdames et messieurs les magistrats, le bracelet ne pousse pas autour de la cheville dès la date prévue. Il faut contacter la personne chargée de la pose, voir une date de disponibilité car cette personne est souvent seule pour tout un département.
Et alors le pompon : une décision de semi-liberté probatoire à une libération conditionnelle sans durée de semi-liberté et date de fin de libération conditionnelle. Ben oui ça va pousser aussi tout seul sur mon traitement de texte puisque je ne mets qu’en forme les décisions. A la question posée au magistrat : combien de temps la semi-liberté, la réponse n’a été qu’un haussement d’épaule indiquant que ce n’était pas vraiment son problème. Nous avons tout décidé seules avec la conseillère d’insertion et de probation (CIP). Je suis souvent en rapport avec les CIP et heureusement. Si je n’arrive pas à travailler en équipe avec certains magistrats ce n’est pas le cas avec les SPIP (Service Pénitentiaires d’Insertion et de Probation, là où travaillent les CIP) avec qui j’ai démêlé beaucoup de situations.
Bref non je ne suis pas une secrétaire, je suis obligée de prendre beaucoup d’initiatives et de responsabilités (ce que je vis également quand je fais des remplacements au service d’exécution des peines) et j’en suis fière. Mais s’il vous plaît ne demandez plus : à quoi ça sert un greffier parce que…CA M’ENERVE !!!!!
Par Finger in the noz
Comme tous mes collègues, je prends mon clavier et exprime à mon tour ma consternation.
Permettez-moi de vous narrer un morceau de mon histoire d’ « amour » avec la justice…
Je suis rentrée au sein du ministère il y a maintenant 21 ans avec seulement un BEPC en poche, mon travail n’est pas toute ma vie mais une bonne partie d’elle. J’ai grandi dans tous les sens du terme au sein de cette administration, j’ai rencontré des gens extraordinaires qui m’ont aidé, entouré et même parfois cajolé, j’ai été la « môme caca » et je suis devenue une professionnelle passionnée par son métier, motivée et fière d’appartenir désormais à ce corps de greffiers !
… mais boudiou que c’est dur de travailler avec l’élite de la nation que sont les magistrats et avec les avocats qui connaissent tout mais qui passent leur temps à nous solliciter sur telle ou telle procédure !
Rendez vous compte que lorsque je tiens mon audience tous les mardis, les avocats dits de l’extérieur, se présentent comme de coutume au tribunal… oups pardon… aux magistrats, qu’ils serrent la main et s’arrêtent à mon niveau ! Le jour où j’ai pris le bouillon et que j’ai osé dire en audience que si vous considérez que le greffier ne méritait pas qu’on lui serre la main alors que ma main est propre et honorable, c’est que vous considérez messieurs et mesdames les avocats, ainsi que les magistrats, que je ne fais pas partie de la composition du tribunal et qu’à ce titre je n’ai aucune raison d’assister à l’audience ! En dehors du fait que je suis passée pour une hystérique, il n’y a eu aucune réaction ! je suis bien entendu restée en audience à contre cœur (c’est mon métier !), mais ça prouve que le respect n’est pas à la portée de tous et ne s’apprend pas dans les bouquins !
Là où ma naïveté a atteint son paroxysme, c’est de voir la réaction de certains magistrats dont j’étais convaincue qu’ils seraient les premiers à me/nous soutenir. Je ne fais pas le procès des magistrats (ce serait un comble pour un greffier) et je me suis toujours refusée de comparer des choses qui, à mon sens, ne sont pas comparables ; mais certaines réactions me choquent et m’attristent beaucoup. Moi qui croyais être reconnue en tant acteur important dans les rouages de la justice… la chute est brutale !
Pas plus tard qu’hier , et après avoir rappelé à un magistrat péteux que je n’étais pas sa secrétaire mais greffier des services judiciaires et qu’à ce titre j’organisais mon greffe comme je l’entendais et avec les moyens mis à ma disposition (monsieur se plaignait que ces jugements ont été mis en forme avec un jour de retard…), je me suis entendue dire par mon président de chambre à qui je narrais l’incident qu’il était vrai que je n’étais pas sa secrétaire attitrée mais plutôt la secrétaire du greffe ! les bras m’en sont tombés ! Que voulez vous répondre à ce genre d’ignorance ?
Bref, je ne vais pas détailler le « corvéable à merci » des fonctionnaires de justice car ce serait une redite. J’ai toujours su qu’un jour les fonctionnaires de justice se rebelleraient. Alors ne lâchons rien, ce qui se passe en ce moment est historique, jamais les fonctionnaires de justice n’ont autant effrayé par notre conviction et surtout notre grande solidarité !
Chers collègues ce pouvoir de bloquer cette grande machine qu’est la justice nous l’avons et peu importe le mépris des uns et des autres, on sera entendu j’en suis certaine !
Me EOLAS un grand merci à vous.