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Journal d'un avocat

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Peu importe ta naissance, petit Français

vendredi 3 juillet 2015 à 23:55

La Cour de cassation, dans sa formation la plus solennelle, l’Assemblée plénière, a rendu aujourd’hui deux arrêts dont le moindre mérite n’est pas de donner des aigreurs d’estomac à mes amis de la Manif pour Tous, sur la filiation des enfants nés après la conclusion d’un contrat de gestation pour autrui (ou GPA). Beaucoup de choses ont été dites sur cet arrêt, et à mon grand regret, la plupart bien sottes, par des gens qui n’ont pas pris le temps de lire ces deux arrêts pourtant fort brefs, ou l’ont fait à travers le prisme déformant de l’idéologie, dont la première victime est toujours la réalité.

Alors que disent ces arrêts au juste, et pourquoi sont-ils à mon avis dignes de louange, que l’on ait pour la GPA les yeux de Chimène, comme votre serviteur, ou l’œil de Sauron ?

Ces deux arrêts portent sur des faits très similaires. Dans les deux cas, deux ressortissants français sont allés en Russie, où la GPA est légale (si on ne peut plus compter sur l’oncle Vlad, où va-t-on ?) et ont chacun conclu avec une femme ressortissante de ce pays un contrat de GPA.

En quoi consiste au juste un contrat de GPA ? Il consiste à demander à une femme (dite mère porteuse, ou de substitution), qui l’accepte, de porter un embryon, en principe formé par les gamètes de tiers (l’idée étant que l’enfant ne soit pas biologiquement l’enfant de la mère porteuse), jusqu’au terme de la grossesse, et d’en accoucher, avant de renoncer à tout droit sur ledit enfant. La législation de certains pays permet même au juge de prononcer dans la foulée l’adoption par la femme ayant fourni l’ovocyte lorsque c’est un couple qui a sollicité la GPA, femme qui est donc la mère biologique de l’enfant, mais ce n’est pas consubstantiel à la GPA. Ainsi, dans nos deux affaires, le père a à chaque fois agi seul. De même, la question de la rémunération de la mère porteuse se pose, mais que l’acte soit gratuit ou payant importe peu : la GPA consiste pour une femme à porter l’enfant d’autrui, point. J’ajoute que la fécondation a lieu in vitro avec implantation, ce qui exclut toute qualification de prostitution.

Et c’est ce qui semble-t-il s’est bien passé dans les deux cas. Semble-t-il car ce fait, retenu par la cour d’appel dans un cas, était contesté par le père.

Dans ce premier cas, un prénommé Dominique est l’heureux père d’un petit garçon, K…, né début septembre 2011 à Moscou. Sa naissance a été enregistrée à Moscou et mentionne que le père est Dominique X…, de nationalité française, et sa mère Kristina Z…, de nationalité russe. Dès mars 2011, Dominique X… avait fait une reconnaissance prénatale auprès de l’état civil français. Il a ensuite demandé la transcription au Service central d’État Civil, service situé à Nantes qui recueille la transcription de tous les actes d’état civil concernant un Français mais dressés à l’étranger, l’acte de naissance de son fils. Ce que le procureur de la République de Nantes a refusé, supputant une naissance en vertu d’un contrat de GPA, illégal en France. La solution juridique retenue comme sanction était de refuser la transcription de cet acte comme entaché de fraude.

Dans l’autre, Patrice Y… est devenu le 7 juin 2011 l’heureux papa d’une petite L., née elle aussi à Moscou, de Mme Lilia A… Le 7 février 2011, il avait lui aussi fait une reconnaissance prénatale. Là encore, lorsqu’il a voulu transcrire l’acte de naissance de sa fille à l’état civil français, à Nantes, refus du Procureur de la République, car il y avait eu GPA, ce que le père ne semblait pas contester.

De jugement en pourvoi, nous voici devant la Cour de cassation. Jusqu’à présent, la position de la cour était immuable : ce refus était justifié par la fraude à la loi et ne portait pas atteinte à l’intérêt de l’enfant, qui avait un état civil russe, et pouvait vivre avec l’homme qu’elle appelaient papa, qui était leur papa, mais que la loi refusait de gratifier de ce titre. Donc tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, sauf pour quelques esprits chafouins dont votre serviteur, qui toussaient à ce meilleur des mondes où des enfants de Français, donc Français en vertu de la loi, se voyaient ainsi punis pour une faute qui ne leur est nullement imputable, privés de la nationalité française, donc à leurs 18 ans du droit de vote, d’éligibilité, et d’accès aux plus hautes fonctions publiques, et du droit de prendre part à la succession de leur père, sauf à se voir taxer à 60% comme s’ils lui étaient étrangers. Sans oublier les mille et un tracas du quotidien quand, pour la moindre démarche administrative„ à commencer par l’inscription à l’école, vous allez devoir vous expliquer sur le fait que votre enfant est votre enfant mais que vous ne pouvez avoir pour le prouver qu’un document étranger. En somme, on châtiait un nourrisson parce qu’on ne pouvait rien faire contre le père, et que diantre ! Il faut bien taper sur quelqu’un, même s’il porte des couches, et continuer quand il portera des couettes, et encore quand viendra son acné, et persévérer quand il sera adulte. Liberté, égalité, fraternité, si ta vie correspond à ma vision du monde. Et certains se disent chrétiens.

Fort heureusement, des esprits chafouins, il y en a d’autres que votre serviteur. Ainsi dès janvier 2013, l’actuelle garde des Sceaux a pris une circulaire ordonnant aux procureurs de ne plus s’opposer à la transcription de ces actes d’état civil. Elle a été fort critiquée pour cela mais elle a ce faisant sauvé un peu de l’honneur de la France. Car le 26 juin 2014, il y a un an déjà, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour ce refus en ce qu’il, précisément, nuisait à un enfant que la loi est censé protéger et non pas châtier pour un crime qu’il n’a pas commis. La CEDH n’a pas estimé que la GPA devait être légalisée : elle a clairement laissé aux États le droit d’apprécier s’il y a lieu d’intégrer cela dans leur ordre interne. Elle n’a pas interdit de sanctionner les parents : elle a même jugé que l’atteinte à la vie familiale des parents causée par ce refus était justifiée au regard de la Convention par leur violation de la loi française (§87 sq.). Mais c’est l’atteinte aux intérêts des enfants qui est sanctionnée, et à raison. “Trouvez un moyen de sanctionner les parents sans que cela ne retombe sur les enfants, nous dit la Cour, et je n’y verrai aucun problème”. Dire qu’il a fallu aller se faire humilier devant la Cour européenne des droits de l’homme pour qu’une telle évidence s’impose…

Les arrêts rendus ce jour étaient fort attendus car ils sont les premiers à revenir sur la question après la condamnation de la France par la CEDH. C’est cette condamnation qui a conduite à la réunion de l’Assemblée plénière, et le revirement attendu a enfin eu lieu par ces arrêts.

Dans le premier cas, celui de Dominique, l’arrêt de la cour d’appel ayant refusé d’ordonner la transcription est cassé.

La cour pose d’abord la règle de droit, dans ce qu’on appelle l’attendu de principe, un attendu étant un paragraphe commençant par la formule “attendu que”.

Attendu qu’il résulte des deux premiers de ces textes que l’acte de naissance concernant un Français, dressé en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays, est transcrit sur les registres de l’état civil sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

Voici la nouvelle règle : même s’il y a eu GPA, on transcrit, sauf si l’acte est irrégulier, falsifié, ou ne correspond pas à la réalité. Après un attendu qui rappelle les faits, voici le 3e attendu, qui rappelle dans un premier temps la position de la cour d’appel :

Attendu que, pour refuser la transcription, l’arrêt retient qu’il existe un faisceau de preuves de nature à caractériser l’existence d’un processus frauduleux, comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui conclue entre M. X… et Mme Z… ;

et dans un deuxième temps (introduit par un simple “Que”) :

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle n’avait pas constaté que l’acte était irrégulier, falsifié ou que les faits qui y étaient déclarés ne correspondaient pas à la réalité, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Vous voyez que c’est facile à comprendre, un arrêt de la cour de cassation : 1 : je pose la règle, 2 : je regarde si la cour l’a bien appliquée. Ici, non, alors 3 : je casse.

Et ça marche dans les deux sens.

Dans la deuxième affaire, on est dans l’hypothèse contraire : la cour d’appel de Rennes, la même qui avait débouté Dominique, a fait droit à la demande de Patrice.

Le plan est ici le suivant : 1er attendu : rappel des faits. 2e attendu : exposé des arguments du procureur général de Renne, demandeur au pourvoi. 3e attendu : on l’envoie bouler car :

ayant constaté que l’acte de naissance n’était ni irrégulier ni falsifié et que les faits qui y étaient déclarés correspondaient à la réalité, la cour d’appel en a déduit à bon droit que la convention de gestation pour autrui conclue entre M. Y… et Mme A… ne faisait pas obstacle à la transcription de l’acte de naissance.

Deux questions qui sont souvent revenues chez mes chers lecteurs : la loi Taubira du 17 mai 2013 sur le mariage entre personnes de même sexe a-t-elle pavé la voie à cette reconnaissance de la GPA ? En rien. Elle n’est pas concernée. La CEDH a été saisie de la question les 6 octobre 2011, soit à l’époque où Nicolas Sarkozy était président. Et le refus de transcription était aussi opposé aux couples hétérosexuels.

Ces arrêts légalisent-ils la GPA en France ? Non, en rien. Ils interdisent simplement de sanctionner les enfants nés par GPA. Le droit français ne connaît plus d’abominations qui n’auraient jamais dû naître. On respire un peu mieux, malgré la canicule.

Un détail qui a totalement échappé aux commentateurs négatifs de cette décision, qui avant même de se donner la peine de lire ces arrêts ont récité leur vulgate sur la marchandisation du corps et la réification de l’enfant (ils disent objetisation mais moi je parle français). Dans les deux cas, la mère figurant à l’état civil était la mère porteuse. Celle qui avait accouché. Bref, celle-là même que les plus farouches opposants à la GPA désignent comme étant la seule mère possible. Faut-il être aveuglé par l’idéologie.

Deux exemples, provenant de personnalités qui ne sont pas de second plan. Jean-Frédéric Poisson, député des Yvelines, a tweeté que “la Cour de cassation rétablit l’esclavage dans notre pays. Il faut absolument abroger la loi Taubira”. Je n’en dis pas plus sur l’absurdité et la bassesse de ce message, qui, je crois, va être couronné sous peu par l’Académie Busiris.

Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit, enseignante à Sciences Po, tout de même, qui commente : “L’attristant dans les arrêts du 3 juillet ? le silence.Les femmes n’y sont pas. La Cour le dit: peu importe la GPA. Les femmes sont effacées.” Non seulement elles ne sont pas effacées, mais en l’occurrence, elles figurent sur l’acte d’état civil comme mère des enfants concernés, aucune adoption n’ayant eu lieu par la suite, et sont mentionnées dans les arrêts (à 3 et 4 reprises, respectivement). Les femmes méritent le respect, et la réalité, tout autant.

La Raison a déserté le débat depuis longtemps. Par bonheur, on l’a retrouvée Quai de l’Horloge, même si en l’espèce, la Cour de cassation n’a été que la mère porteuse de la solution engendrée par la CEDH.

De l'irruption de la procédure civile dans le débat public

lundi 11 mai 2015 à 09:43

Un incident sur un plateau de télévision a donné naissance à un débat sur la procédure civile, discipline à mon goût trop absente des discussions de salon et des débats médiatiques.

Chaussons les lunettes du juriste, laissons pour une fois de côté le code de procédure pénale et ouvrons celui de procédure civile, qui est le cœur battant du métier d’avocat. Un petit rappel : qu’appelons-nous procédure civile et pénale ?

Les différents types de procédure

La procédure civile est celle qui régit les procès opposant les personnes privées entre elles, que ce soient des particuliers (personnes physiques) ou des sociétés ou associations (personnes morales). Un couple qui divorce, un salarié licencié qui attaque son ancien employeur, un locataire qui exige des travaux de son bailleur, un client mécontent qui exige le remboursement d’un produit, tout cela relève de la procédure civile. La procédure pénale concerne la poursuite par la société, représentée, et avec quel talent, par le ministère public, des infractions (contraventions, délits, crimes). La procédure administrative existe aussi, qui oppose l’administration (au sens large, Etat, collectivités locales, certains établissements publics) à ses administrés ou plus rarement deux personnes publiques entre elles (par exemple quand l’Etat demande l’annulation d’une délibération d’un conseil municipal qu’il estime illégale).

La procédure civile de droit commun, c’est à dire s’appliquant par défaut, si la loi n’a pas prévu une procédure dérogatoire spéciale, est portée devant le tribunal de grande instance, et la représentation par avocat est obligatoire (c’est le seul cas, outre les comparutions immédiates et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité au pénal, où l’avocat est obligatoire). De fait, pour la plupart des procès de la vie quotidienne (moins de 10 000 euros), vous pouvez vous représenter vous-même. N’hésitez pas. On adore ça.

En appel, tous ces contentieux se retrouvent à la cour d’appel, et la représentation par avocat est obligatoire dans la plupart des cas.

Rangez les guns

Ceci posé, rentrons dans le vif du sujet. Et d’emblée, étouffons dans l’œuf une controverse. Oui, l’un des intervenants de cette affaire est Caroline Fourest. Un autre intervenant est Aymeric Caron. Get over it. Je sais que la profession de polémiste de ces deux personnes, et leurs vues tranchées à défaut d’être toujours solidement étayées les rendent aisément objet de réactions passionnelles. Ici, ce n’est pas le sujet. Si vous occupez votre trop grand temps libre à colporter de forum en forum votre détestation de l’une ou votre haine de l’autre, passez votre chemin. Vos messages seront effacés pour rendre à votre avis l’importance qu’il a réellement. Pour ma part, pour être transparent à votre égard, je n’ai aucun contentieux personnel avec ces deux personnes. Je n’ai jamais rencontré Aymeric Caron, mais ai participé à une émission “Du grain à Moudre” sur France Culture avec Caroline Fourest. C’était en juin 2008, sur le sujet de l’annulation du mariage de Lille sur lequel j’avais écrit ce billet. J’ai fait sa connaissance à cette occasion. Au-delà de nos désaccords de fond sur ce sujet, c’est quelqu’un de courtois et, ai-je pu en juger lors de la brève discussion hors antenne ayant suivi l’émission, sincère dans ses convictions et sa préoccupation de la progression du communautarisme. Sincère ne veut pas dire qu’elle a forcément raison, et déjà à l’époque, j’avais constaté une certaine tendance à affirmer catégoriquement le contenu d’une décision de justice et à être plus évasive sur les détails. Cela m’avait poussé à écrire après cette émission ce billet pour préciser ce que disait réellement une décision de justice qu’elle avait invoquée comme preuve à l’antenne et qui s’est avérée après vérification aller plus dans mon sens que dans le sien. Les vertus du contradictoire… Mais se tromper sincèrement, ce n’est pas mentir. Que d’erreurs judiciaires sont nées de cette confusion.

Les faits, maître, les faits.

Rappelons à présent les faits : interrogé par Aymeric Caron sur une condamnation pour diffamation en octobre 2014 à la suite d’une de ses chroniques sur une jeune femme musulmane portant le voile qui aurait selon la journaliste inventé une agression, Caroline Fourest a répondu “qu’elle avait gagné en appel”. Le chroniqueur a reçu l’information avec un certain doute, et votre serviteur, avec un doute certain. Non pas qu’il me parût impossible que caroline Fourest gagnât son procès en appel (j’en ignore les détails et me garderai de donner une opinion sur le fond de l’affaire) mais les délais de jugement d’un appel devant la chambre 2-7 de la cour d’appel de Paris, compétente en la matière, ne sont PAS de  5 mois. C’est plutôt 2 à 3 ans. La polémique a enflé dans les jours qui ont suivi, Aymeric Caron, ayant le défaut d’être journaliste, a fait des vérifications et obtenu confirmation auprès de la cour que l’affaire était toujours pendante, et indiquait avoir eu connaissance d’une sommation de communiquer daté du 8 avril 2015 (je reviendrai sur ce que c’est). Le point va à Aymeric Caron : cette sommation est un acte de procédure qui prouve que l’appel est en cours à la cour d’appel.

Réplique de l’intéressée qui précise et indique avoir mal compris ce que lui a dit son avocat : en fait, si l’affaire est toujours en cours, il la considére comme gagnée car la prescription serait acquise (je vais y revenir aussi, je sais, je tease comme un ouf, et je sais, j’ai passé l’âge d’employer ce vocabulaire). Donc le procès est en cours mais d’ores et déjà gagné, ce que Caroline Fourest a trop rapidement transformé en “gagné”, sans doute aiguillonnée par le plaisir de clouer le bec à son contradicteur. Là, je ne puis encore accorder le point, qui relève de l’office du juge. L’affaire en est là. Il est temps d’ouvrir la boîte à explications, en commençant par un peu de vocabulaire.

Mais d’abord, un peu de procédure

Une affaire oppose un demandeur et un défendeur. Le demandeur demande au juge de condamner le défendeur à quelque chose. Ici, la jeune femme accusée d’avoir affabulé demande que Caroline Fourest soit condamnée pour l’avoir diffamée, c’est à dire lui avoir publiquement imputé un fait contraire à l’honneur et à la considération. Elle est demanderesse, et le sera jusqu’au bout de la procédure. Caroline Fourest est défenderesse, et le sera elle aussi jusqu’au bout. La demanderesse a obtenu gain de cause par un jugement du 23 octobre 2014. Caroline Fourest a fait appel (on dit “a interjeté appel” entre juristes pour crâner). En appel, celui fait appel est appelé l’appelant,et celui qui ne fait pas appel, l’intimé. Sachant que l’intimé qui n’a pas obtenu tout ce qu’il voulait mais s’en contentait peut se dire “ah c’est comme ça, ben je vais en profiter pour présenter à nouveau mes demandes complètes” et peut à son tour former appel, cet appel en représailles s’appelant un appel incident. Donc on peut avoir en appel un appelant principal, intimé incident, opposé à un intimé principal, appelant incident. C’est simple, non ? Eh bien ça ne le reste jamais longtemps, car les deux parties peuvent être mécontentes du jugement, et former appel principal toutes les deux. Dans ce cas, les deux parties sont appelantes et intimées.

Sachant que quelle que soit leur qualité d’appelant ou d’intimé, les parties n’en gardent pas moins leur qualité de demandeur ou de défendeur. Ce qui change est que le demandeur qui a gagné en première instance (on dit “triomphé”) demande cette fois la confirmation du jugement plus que la condamnation de son adversaire, qu’il a déjà obtenue (on dit du perdant qu’il a “succombé”). Intimé est une position confortable car on a un jugement qui va dans son sens.

L’appel est en principe suspensif du jugement, et dans tous les cas, il l’empêche d’acquérir l’autorité de la chose jugée, qui est l’impossibilité presque absolue de remettre en cause une décision de justice devenue définitive. Une décision définitive est une décision de justice pour laquelle plus aucune voie de recours n’est possible, soit que le délai pour l’exercer a expiré, soit que le recours a été exercé mais a été rejeté. 

Dernier point : nous sommes en matière de délit de presse, et la prescription est fort courte : elle est de 3 mois. Si le demandeur ne manifeste pas de manière univoque sa volonté de continuer à poursuivre pendant 3 mois, l’action en justice s’éteint par son inaction. Cela s’appelle la prescription. C’est le demandeur qui doit prendre l’inititative de cette manifestation, qui peut simplement prendre la forme d’un dépôt de son argumentation écrite, fût-elle identique à la précédente, cette argumentation s’appelle des conclusions. L’interruption de la prescription remet le compteur à zéro et fait à nouveau courir un délai de trois mois. L’autorité de la chose jugée met fin définitivement à ce délai de prescription, et pour l’exécution de la condamntion, on rebascule sur le délai de droit commun, soit 5 ans.

C’est compliqué, n’est-ce pas ? Vous savez désormais pourquoi on en a fait un métier. Faites une pause, buvez une tasse de thé, et on attaque les règles de la procédure d’appel.

Prêts ? C’est parti.

Le délai d’appel est d’un mois en matière civile, et court à compter de la signification du jugement, c’est à dire qu’un huissier de justice la porte au domicile de la partie condamnée. Si celui qui a triomphé ne pense pas à faire signifier, le délai d’appel ne court pas et le jugement n’acquiert jamais l’autorité de la chose jugée. La déclaration d’appel se fait désormais par voie électronique. Le greffe de la cour d’appel enregistre la déclaration d’appel et en envoie immédiatement copie par courrier simple à l’intimé. D’expérience, à Paris, c’est le jour ouvrable suivant la déclaration d’appel. Si la lettre revient ou que nul ne se manifeste un mois après son envoi, le greffe en avise l’avocat de l’appelant, qui a un mois pour signifier (par huissier donc) la déclaration d’appel à l’intimé. S’il ne fait pas, son appel est caduc, et le jugement devient définitif.

L’appelant a trois mois pour conclure à compter de sa déclaration d’appel, ce qui ne veut pas dire qu’il a trois mois pour draguer la greffière, mais qu’il a trois mois pour déposer ses conclusions. Si l’intimé ne s’est pas manifesté en chargeant un avocat de le représenter (c’est obligatoire), on dit constituer un avocat, l’appelant doit lui signifier (par huissier donc) ses conclusions à son domicile. Ainsi, il ne peut prétendre ignorer ce qui se passe. Si l’intimé a constitué avocat, celui-ci a deux mois pour conclure à compter de la signification par l’appelant de ses conclusions. Si j’ai bien fait mon boulot, vous avez dû comprendre cette phrase, ce que vous n’auriez pas pu faire quand vous avez commencé à lire. Achievement unlocked. Cette phase de pure procédure, où les parties s’échangent leurs argumentations et se communiquent les preuves sur lesquelles elles s’appuient s’appelle la mise en état, et se déroule sous la surveillance d’un conseiller de la cour d’appel (à la cour d’appel, les juges évoluent un peu comme les Pokémons, et ils deviennent Conseillers). Il s’appelle conseiller de la mise en état, merci Captain Obvious. C’est dans le cadre de cette mise en état qu’a été émise la sommation de communiquer du 8 avril, qui est un acte par lequel un avocat somme son adversaire de produire une preuve d’un droit dont il se prévaut. Quand le conseiller de la mise en état estime que l’affaire est en état d’être jugée, il clôt cette phase, et fixe une date d’audience devant la cour au grand complet (soit trois conseillers) pour entendre les plaidoiries des avocats. Puis un arrêt est rendu (devant une cour, on ne parle plus de jugement, apanage d’un tribunal, mais d’arrêt). 

À présent que vous êtes armés, replongeons-nous dans notre affaire. 

Le 23 octobre 2014, le tribunal de grande instance de Paris, 17e chambre, condamne Caroline Fourest à payer à Rabia B. la somme de 3000 euros. Comme nous sommes au civil, il ne s’agit pas d’une amende (Caroline Fourest n’est pas condamnée pénalement, elle n’aura pas de casier judiciaire même si la diffamation est un délit) mais d’une indemnisation versée à la victime reconnue comme telle par le jugement. Le jugement n’est pas définitif, la prescription est toujours possible. Elle serait acquise le 23 janvier 2015 si elle n’était pas interrompue. Je n’ai ensuite que trois dates à me mettre sous la dent : la déclaration d’appel aurait été formée le 31 octobre 2014. Attention, s’agissant d’un acte accompli par la défenderesse, il n’est pas interruptif de prescription, seule l’interrompt un acte du demandeur manifestant clairment sa volonté de poursuivre [Edit : la déclaration d’appel est bien interruptive de prescription, juge la jurisprudence.] Le 28 janvier 2015, l’avocat de Caroline Fourest a déposé ses conclusions d’appel (il devait le faire le 31 janvier au plus tard, ce qui correspond au dernier jour pour le demandeur intimé pour interrompre la prescription). Ces conclusions auraient été signifiée à partie, donc à Rabia B. le 23 février 2015 (source : @arrêtsurimages.net, qui parle de signification de l’appel, mais je doute que ce soit ça, ça ne colle pas avec les délais). Toutes ces formalités sont effectuées par la partie appelante, donc défenderesse ici, et ne sont de ce fait pas interruptives de la prescription, car elles ne marquent pas la volonté de l’intimée demanderesse de poursuivre son action. Dernière info : la sommation de communiquer dont Aymeric Caron a fait état émane là encore de l’appelante, donc elle ne serait pas non plus interruptive de prescription. 

En fait, pour avoir utilement interrompu la prescription, il faut que Rabia B. ait accompli avant le 23 janvier 2015 (23 octobre 2014 + 3 mois) un des actes suivants : avoir signifié à Caroline Fourest le jugement du 23 octobre 2014, ou, ayant eu vent de la déclaration d’appel, constitué avocat. Ces deux actes manifestent une volonté de poursuivre l’action, la jurisprudence l’a tranché, ils interromptent donc la prescription. Cet acte aurait fait courir un nouveau délai de 3 mois, qui aurait pu être interrompu à tout moment par le dépôt de conclusions d’intimé. Il y a d’autres moyens d’interrompre la prescription mais ceux-ci sont les plus simples, et s’inscrivent naturellement dans le déroulement de la procédure. En supposant que la démanderesse ait constitué avocat le dernier jour du délai, soit le 23 janvier, il lui fallait accomplir un acte de poursuite de l’action le 23 avril 2015 au plus tard. Si ce n’est pas le cas, l’avocat de Caroline Fourest peut jubiler, l’affaire est bien prescrite (et sa cliente, dûment informée, jubiler à son tour le 2 mai à l’antenne de France 2). Mais il faudra attendre l’arrêt sur le fond pour que la prescription soit officiellement constatée.

Comment est-ce possible, me demanderez-vous ? C’est plus fréquent qu’on ne le croit, le droit de la presse est rempli de chausse-trapes, et l’avocat de Caroline Fourest en est un fin connaisseur. L’intimé peut par exemple croire à tort qu’un acte accompli par l’appelant a interrompu la prescription et se croire à l’abri. Cela peut être ainsi une ruse de l’appelant de multiplier les actes de procédure (au hasard, une sommation de communiquer) pour donner à l’intimé un faux sentiment de sécurité jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Attention : je ne dis pas que c’est le cas dans cette affaire, je n’en sais rien, je n’ai pas accès aux éléments de la procédure. J’explique en quoi cette prescription est théoriquement possible, et est plus fréquente qu’on ne le croit, comme en témoigne le volume du contentieux sur cette question. La difficulté que vous avez eu à tout comprendre dans cet article vous confirmera la complexité de la question, même pour un avocat. Si tel n’est pas le cas, l’avocat de Rabia B. n’aura aucune difficulté à prouver le contraire à la cour et le cas échéant à la presse en précisant les dates et la nature de ses actes interruptifs. Auquel cas, Caroline Fourest aura tiré une balle dans le pied de sa défense, en rendant son adversaire encore plus vigilant sur le délai de trois mois qu’il ne l’était déjà.

Navré de n’avoir pu apporter de réponse précise à vos questions ; au moins espérè-je vous avoir permis de vous poser les bonnes questions.

Relisons la notice

mardi 7 avril 2015 à 00:11

En ces temps où notre pays subit à nouveau la menace terroriste, nous sommes, comme à chaque fois, collectivement, confrontés à un défi politique de grande ampleur. Les élus en charge des affaires de la nation redoutent tout particulièrement que des événements tels que ceux qui ont frappé notre pays début janvier se reproduisent, et sont tentés de recourir à tous les moyens d’exception pour l’éviter. La réaction sécuritaire, pour naturelle qu’elle soit, n’en est pas pour autant rationnelle. Et c’est là que se situe le défi.

Ceux qui emploient la violence contre notre société haïssent cette société, car elle repose sur des valeurs opposées à celles qu’ils ont adoptées. Ils ne supportent pas que nous fassions reposer notre pacte social sur la Raison et non la crainte d’un dieu, que nous considérions les femmes comme les égales des hommes en droit (en salaire, ça lague un peu…), que nous soyons une société pluraliste où on peut avoir des opinions politiques opposées, des croyances religieuses différentes voire afficher clairement son absence de telles croyances et malgré tout vivre en paix ensemble.

Et la réaction sécuritaire qui saisit tout État subissant un acte terroriste est dangereuse, pas tant pour les terroristes que pour nous, les citoyens de cet État. J’ai déjà parlé d’un aspect préoccupant de cette surréaction dans cet article. Mais plus largement, c’est un sacré paradoxe de voir un pays démocratique sacrifier les libertés de ses citoyens pour faire face à une attaque menée par des gens qui haïssent cette liberté. Et pour un résultat plus que douteux, car hélas qui peut douter un seul instant que la France subira encore des attentats de cette nature, car il est rigoureusement impossible de se mettre à l’abri de ce genre d’actions. Aucun pays même le plus despotique n’y est parvenu. Face à ce constat, la réplique fuse, quasi-pavlovienne : donc il ne faut rien faire ? Ce qui est bien sûr le sophisme du tout-ou-rien, ou de l’alternative abusive, qui vise à réduire un débat à une alternative, dont l’opposé à son point de vue se doit naturellement d’être absurde, pour aboutir à la conclusion qu’il n’y a pas d’alternative. Le député Jérôme Lambert (3e circonscription de la Charente, Radical, républicain, démocrate et progressiste) nous en fournit un exemple quand son dialogue avec un citoyen préoccupé par le projet de loi sur le renseignement tourne court quand il arrive à cet argument définitif : “Vous défendez la liberté des terroristes”.

À titre personnel, je me méfie a priori de toute loi sécuritaire. Son coût pour les libertés est évident, et ses bénéfices sont nettement plus évanescents. La seule démarche qui vaille à mes yeux est, face à un attentat de ce type, de faire une commission parlementaire dont les débats sont publics hormis ceux où des secrets de la défense doivent être révélés, qui tire les conclusions d’éventuels manquements, et propose des solutions plutôt que chercher des coupables, sachant qu’un changement de législation doit être la dernière option. Que l’on m’explique en quoi le droit positif (expression juridique signifiant le droit en vigueur à un moment donné) a permis les attentats de janvier, et quel changement de législation aurait permis de les prévenir. Cela me convaincra de la nécessité de ce changement. À la place, j’ai la désagréable impression qu’on change la loi en urgence pour montrer qu’on fait quelque chose, quitte à ce que ce soit inutile au regard du but affiché. Et cette impression n’a été que renforcée par l’enquête publiée par le Monde sur les manquements de la police antiterroriste. Ainsi ce n’est pas la loi qui a empêché la police d’arrêter les trois assassins de janvier. Il est donc urgent de modifier la loi.

Dans de tels moments d’inquiétude, il est d’une grande importance de rester rationnels, car si la colère est mauvaise conseillère, la peur est pire encore, et est une victoire pour les ennemis de la République, dont le but est précisément d’instiller cette peur (soyons réalistes : même le plus obtus des terroristes sanguinaires n’a pas l’espoir que nous soyons tous physiquement anéantis, ne serait-ce que parce qu’il naît chaque jour en France 4 fois plus d’enfants que le terrorisme n’a tué de personnes en un siècle en France [1]).

Et comme à chaque fois que rejaillit le conflit liberté versus sécurité, j’ois[2] et lis les mêmes arguments, variations autour du thème “la sécurité est la première des libertés” et “point de liberté sans sécurité”. Mon poil de juriste, que j’ai dru hormis sur le crâne, se hérisse aussitôt. Et je m’en vais faire mien cet apophtegme bien connu des informaticiens : RTFM, qui peut se traduire par “Diantre, et si nous relisions la notice ?”

La notice en l’occurrence est un texte pour lequel j’ai la plus profonde affection, peut-être le seul texte juridique que je lis avec plus de plaisir encore que la Convention européenne des droits de l’homme : la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ce texte est un des plus beaux qui soit, tout le souffle des Lumières l’a inspiré, il résume tout ce pour quoi, depuis un beau jour d’été de 1789, nous avons décidé d’abandonner la monarchie absolue et de prendre notre destin en mains. Pas de le confier à un autre despote, même s’il y aura eu des tentatives en ce sens. Ce texte est en vigueur aujourd’hui, il a été intégré à notre Constitution en 1958, et je frémis de bonheur chaque fois que j’invoque dans des conclusions ou une Question Prioritaire de Constitutionnalité l’un des articles de cette déclaration. Et quand le Conseil constitutionnel annule ou abroge une loi car elle viole cette déclaration, je trouve que cette victoire des révolutionnaires deux siècles après a une sacrée allure.

Et que dit-elle cette notice ? Elle est assez claire, même si elle est rédigée dans un français juridique qui a un peu vieilli qui peut prêter à des confusions sur certains mots employés. Lisons-la ensemble.

Première question, celle sur laquelle tout débat sur la sécurité repose : nous le peuple avons créé un État pour quoi faire ?

La réponse est à l’article 2 : Le but de toute association politique (dans le sens d’État, et non de parti politique comme cela pourrait être compris aujourd’hui) est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Voilà le but et l’objet de l’Etat : protéger nos libertés. Avouez que ça ne semble plus aller de soi.

Deuxième question : quels sont ces droits ? Ils sont énumérés juste après : Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression.

Cette liste n’est qu’une annonce de plan. Les articles suivants vont développer, mais clarifions un point essentiel tout de suite : la sûreté n’est pas la sécurité que nous promettent nos élus pour peu que nous renoncions à toute garantie de notre vie privée. La sûreté qui préoccupait les révolutionnaires de 1789 n’est pas la certitude de vivre toute sa vie indemne de tout mal, pensée absurde dans la France de 1789, mais, et c’est là la pensée révolutionnaire : la protection de l’individu face à la puissance de l’État, que ce soit un roi ou tout autre dirigeant. Le chef de l’État ne peut se saisir de votre personne ou de vos biens car tel est son bon plaisir. Ça vous paraît naturel aujourd’hui  ? En 1789, le roi disposait encore des lettres de cachet, discrétionnairement. Voilà la sûreté de 1789.

Ainsi, prenons la liberté. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. Article 4.

Cet article ne se contente pas de donner une définition générale : il pose un principe fondamental de notre droit : tout ce qui n’est pas expressément interdit par la loi est autorisé. Souvent, on me pose la question « A-t-on le droit de faire ceci ?» La question est mal posée. Elle devrait être « Est-il interdit de faire ceci ? » Certes, la réglementation et la législation ont sinon interdit du moins encadré et soumis à déclaration voire à autorisation des pans énormes de l’activité humaine, et il est légitime de s’interroger sur la nécessité de chacune de ces règles (c’est le mérite, attention je vais écrire un gros mot, de la critique libérale). Mais en attendant leur réforme, elles doivent s’appliquer. Il demeure que vous chercherez en vain un texte qui dira “ce que vous voulez faire est autorisé”. Il vous faut chercher le texte qui dira que ce que vous voulez faire est interdit. Ce principe est tellement important qu’il sera repris dans l’article suivant, sous un autre aspect.

Cette définition générale de la liberté ne saurait toutefois suffire. Certains aspects sensibles sont aussitôt détaillés.

Ainsi, la liberté d’aller et venir, le sens strict du mot liberté, est protégé : Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis(…). Article 7. Vous voyez ce que je vous disais ? C’est contre l’État que la liberté est protégée avant tout. Il n’est nul besoin d’une telle proclamation solennelle pour réprimer l’enlèvement et la séquestration, qui étaient déjà des crimes sous l’ancien régime. Ce texte vise à mettre fin au fait que quand la séquestration était le fait des agents du roi, elle ne pouvait être un crime. C’est là qu’ont germé les droits en garde à vue. Ça a pris du temps, mais les premiers bourgeons ont éclot. Je rajoute ici la fin de cet article qui est un sain rappel : “mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance. Gardez cela à l’esprit, chers concitoyens : obéir aux injonctions d’un policier dans l’exercice de ses fonctions n’est pas un acte de soumission ou de faiblesse, c’est une application de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Faites-le avec fierté, à tout le moins avec courtoisie : vous agissez comme un citoyen libre.

La liberté, c’est aussi la liberté de conscience. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. Article 10. Au passage, une excellente opportunité pour tordre le cou aux tenants du “la religion doit être cantonnée au domaine privée, rien sur la voie publique”. Votre position est contraire aux droits de l’homme. Manifester ses croyances est un droit fondamental, seul un trouble à l’ordre public permet de le limiter, ce qui a justifié la loi sur l’interdiction du voile intégral, même si je suis réservé sur cette interprétation à titre personnel.

La liberté c’est aussi la liberté d’expression. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. Cet article a pour effet direct d’abolir la censure (qui étymologiquement désigne une autorisation préalable à la publication, qui était nécessaire sous l’ancien régime pour TOUT livre ; voilà pourquoi Rabelais et Montesquieu ont publié sous pseudonyme depuis l’étranger, inventant ainsi internet).

La propriété est traitée à la fin, à l’article 17. La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. Cet article est le fruit de profonds débats avec les libéraux de l’époque, et sa situation à la toute fin révèle que les tractations ont duré jusqu’au dernier moment, et explique sa rédaction alambiquée. On proclame ce droit comme inviolable et sacré, avant de dire qu’on peut en être privé, ce qui est une drôle de notion d’inviolabilité et de sacré. Cet article sera invoqué lors des lois de nationalisations de 1982, notamment.

La sûreté, outre la protection de la liberté de la personne de l’article 7, est détaillée dans les articles 5, 8 et 9.

L’article 5 prévoit que la Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. L’article précédent a déjà posé ce principe mais sur le plan individuel, celui de la liberté, et du conflit des libertés entre les individus. L’article 5 applique ce même principe à l’État. La sûreté impose deux principes essentiels du droit pénal, qui sont encore en vigueur aujourd’hui et qui figurent en tête de tout manuel de droit pénal : le principe de légalité des délits et des peines (et de leur nécessité), et la présomption d’innocence. La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée (article 8). L’esprit de Beccaria souffle sur cet article. Et Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi (Article 9). Je veille personnellement à l’application de la dernière partie de cet article à chacune de mes interventions en garde à vue.

Reste le dernier, la résistance à l’oppression. Ce droit n’a pas été développé, ce qui est regrettable car cela laisse la voie à bien des interprétations, et surtout à sa non application effective : le Conseil constitutionnel n’a jamais censuré une loi pour violation de ce quatrième droit fondamental. Cela s’explique par son ambiguïté congénitale. Les révolutionnaires, qui en 1789 ne l’étaient pas encore, à ce stade, nul ne songeait à renverser le roi, voulaient légitimer leur action et se donner un blanc-seing pour leur action de sabotage de la monarchie absolue, mais étaient pour beaucoup des libéraux passionnés d’ordre, et proclamer un tel droit pouvait se retourner contre eux. On est toujours l’oppresseur de quelqu’un. Ce droit a donc été laissé dans un état embryonnaire.

Et la sécurité dans tout ça ?

Les rédacteurs de la Déclaration n’étaient pas des sots. Ils vivaient dans un pays où le mot insécurité avait un tout autre sens qu’aujourd’hui. Outre des guerres endémiques en Europe, certaines menées sur d’autres continents, les routes et les villes n’étaient pas sûres. Ils n’ont jamais eu la naïveté de croire que la liberté rendait nécessairement l’homme bon et que nul n’abuserait jamais de sa liberté ; ils ont d’ailleurs toujours prévu cette hypothèse dans la proclamation des droits.

La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. Article 12.

Ainsi, l’existence d’une police est garantie par la déclaration des droits de l’homme, mes amis policiers peuvent souffler. Elle fait partie intégrante du système protecteur des individus mis en place par cette déclaration. Son existence se justifie pour la garantie des droits proclamés par ce texte. Ainsi, ceux qui disent que la sécurité est la première des libertés se trompent et prennent le problème à l’envers. La sécurité est bien sûr essentielle, mais car elle fournit le cadre d’une application sereine et entière des droits de l’homme. L’invoquer pour limiter ces droits est donc une trahison et une forfaiture.

Je n’ai pas mentionné tous les articles de la déclaration, notamment ceux sur l’impôt, sa nécessité et l’égalité face aux charges publiques à proportion de ses moyens, car ils sortent un peu de l’objet de ce billet, mais n’en sont pas moins importants et respectables.

Voilà donc une excellente occasion de lire ce texte par vous même. Il n’est guère long, et écrit dans un français élégant, et constitue l’ADN de notre République. En des périodes troublées de colère et de crainte, sa relecture est un acte de salubrité publique.

Notes

[1] D’après l’INSEE, la population croît naturellement, hors immigration, de 240.000 personnes par an soit 658 par jour en moyenne. Le terrorisme a quant à lui tué en un siècle 171 personnes d’après ce tableau de Wikipedia.

[2] Oui, c’est français.

[Reprise] Avocat.net : braconniers du droit ?

mardi 24 février 2015 à 14:45

Je reprends mes activités sur ce blog en accueillant un article écrit par mon confrère Michèle Bauer de l’excellent quoique provincial barreau de Bordeaux. Cet article, repris sur le site du Village de la Justice, très prisé des professionnels, a déplu à Jurisystem, la société exploitant le site avocat.net, qui a d’abord exigé de l’auteur le retrait de cet article, mais manque de pot, ledit auteur était avocat et, se sachant dans son bon droit, a refusé. L’avocat de cette société a alors eu recours à un subterfuge, s’adressant au Village de la Justice en qualité d’hébergeur. Ce site, peu désireux de s’exposer au risque et au coût d’un procès, et n’ayant sans doute pas connaissance de l’infaillible technique des 3P2T, a plié et a retiré l’article.

Et ça m’agace. Pratiquant le droit de la communication en ligne, je suis souvent confronté à des clients pots de terre qui, menacés par un pot de fer en parfaite mauvaise foi (car je crois mes confrères agissant ainsi trop compétents pour ignorer que leur demande sur l’article 6, I, 5 de la LCEN était totalement infondée) préfèrent céder bien que je leur aie expliqué que la victoire les attendait dans le prétoire, car un procès, ça angoisse, ça fout la trouille, et ça coûte cher, même quand je ne suis pas dans la cause (et quand j’y suis je ne vous raconte pas. Surtout le coût). 

Pour ma part, je n’ai pas peur des prétoires. Je m’y sens comme chez moi. Mon hébergeur est Typhon, et ils ont un service juridique qui ferait fuir des Ultralisks à coups de citations du Digeste. Donc, je reprends ci-dessous l’article en question en lui donnant une visibilité supérieure encore à celle du Village de la Justice. Et pendant que la société Jurissystem lit avec intérêt la fiche Wikipédia de Barbara Streisand. Et j’envisage très sérieusement, à bons entendeurs salut, de renouveler cette pratique chaque fois que la LCEN, texte protecteur de la liberté d’expression sur internet, sera invoquée pour la censurer à coups de menaces d’un procès. Go ahead, punk. Make my day.

Ci-dessous le texte de l’article, initialement publié ici.

 

Avocat.net : braconniers du droit ?

Le site Avocat.net vient d’être condamné à changer de nom tel était le titre de Anne Portmann dans un article du Dalloz actualité du 11 février 2014.

J’étais inscrite sur avocat.net et j’ai supprimé ma fiche après lecture de la décision que dont vous pourrez prendre connaissance: tgiparisjurisystem

Ce site permet aux avocats inscrits de recevoir des demandes de devis de clients qui cherchent tous pour la majorité des avocats au plus bas prix, la compétence fait rarement partie des critères de recherches… (voir mon article sur je veux l’avocat qui pratique les prix les plus bas: attention danger!).

En tout état de cause, je me suis interrogée dès mon inscription sur ce site: de quoi vit-il ? Aucune publicité sur ce dernier, les avocats ne règlent rien non plus, les clients qui demandent des devis ne semblent pas payer pour en recevoir….

Avec ce jugement du Tribunal de Grande Instance, j’ai enfin compris, avocat.net rédigerait des actes pour les fameux clients qui demandent des devis et même peut-être conseillerait les internautes. J’avais déjà observé que des fiches étaient rédigées non par des avocats mais par des juristes…

Aussi, les Consoeurs et Confrères inscrits sur ce site seraient utilisés pour permettre au site d’être rassurant et crédible (vous pensez ce site s’appelle avocat.net alors!!!), les Confrères et les Consoeurs inscrits (dont je faisais partie) amènent ainsi du trafic sur le site et une certaine notoriété. Ils permettraient au site de vendre ses actes de juristes et non d’avocats (donc toujours le même problème pas de secret professionnel, pas d’assurance pour couvrir une mise en cause dans le cadre d’une responsabilité professionnelle !).

Bien entendu, ceux qui s’inscrivent ne semblent pas être informés de cette activité concurrente à la leur, les avocats sont les moutons de la bergerie, avocat.net est le loup caché. Mais manque de chance, le CNB vient de voir le loup (enfin me direz-vous, avocat.net existe je crois depuis presque deux ans, mais il n’est jamais trop tard pour voir le loup -c’était pour le jeu de mot, car le jugement précise que l’assignation a été délivrée le 28 décembre 2012, le loup a été vite vu dès sa sortie-).

Notre Institution représentative s’est émue de ce site qui entretient bien volontiers une confusion. En effet, le CNB a assigné avocat.net devant le Tribunal de Grande instance de Paris.

Le CNB a considéré que la Société Jurisystem qui exploite ce site faisait un usage prohibé du titre d’avocat pour proposer des services juridiques, des actes de démarchages interdit et se livrait par conséquent à des pratiques trompeuses.

Le CNB a également fait valoir que des services d’une juriste étaient proposés par la Société. En outre, le site se qualifie seul de « comparateur n°1 d’avocats en France », ce qui est une pratique trompeuse (j’ajouterai que le site précise même que 99% des clients étaient satisfaits, sur quels chiffres s’appuyait-il, mystère…).

Le TGI de Paris a considéré que l’usage de la dénominiation « avocat.net » sans adjonction d’autres termes est de nature à laisser penser à l’internaute que le site ainsi désigné est exploité par des avocats ou que les services proposés sur le site émanent d’avocats.

Par conséquent, le Tribunal a interdit cette Société de faire usage de la dénomination avocat.net pour désigner ce site et ceci sous astreinte de 150 euros par jour de retard (pour l’instant, la Société se moque de cette décision puisque le site se nomme toujours avocat.net alors que le jugement est d’exécution provisoire !).

De même, la Société a été a été condamnée à procéder à la radiation du nom de domaine avocat.net, sous la même astreinte (cela ne semble pas avoir été fait également).

La seule disposition du jugement qui semble-t-il a été exécutée c’est de ne plus utiliser le slogan « le comparateur d’avocats n°1″, cependant la Société continue d’indiquer que les clients sont à 99% satisfaits (mais il n’y a pas de condamnation sur ce point…). (NdEolas : ni la moindre démonstration de cet indice de satisfaction stratosphérique naturellement)

Cette décision est la bienvenue. Elle pose encore une fois une question récurrente: quand est-ce que le CNB se décidera à mettre en place un site qui propose de telles prestations pour les internautes ?

Je l’ai écrit: les avocats sont aussi un marché pour ces Sociétés et il est nécessaire d’investir le numérique. Il ne suffit pas de prêcher la bonne parole lors de la Convention de Montpellier, de faire un mea culpa et surtout de vénérer les entreprises du numérique. Il faut agir et vite.

A quand la création  d’une plateforme gérée par le CNB, tournée vers les internautes, vers les futurs clients qui seront rassurés par le gage de qualité, de sécurité, de déontologie et de confidentialité que pourrait offrir les avocats par l’intermédiaire d’un tel site ?

Je crains que la réponse malheureusement ne se fasse attendre, hélas.

Pour ce qui est de notre participation à ces sites, ceci relève de la conscience personnelle: travailler pour un concurrent pour ma part est une hérésie!

NB: L’avocat de la Société m’indique que  sa cliente a interjeté appel du jugement, dont acte. Cependant, il ne m’a pas précisé si le Premier Président a été saisi en demande de suspension de l’exécution provisoire.

N'est pas mort ce qui à jamais dort…

vendredi 6 février 2015 à 14:39

Non, ce blog n’est pas décédé. J’ai l’envie et l’inspiration, mais pas le temps pour le moment. Je reviens bientôt à un rythme soutenu.

En attendant, je vous fais des infidélités. C’est par là que ça se passe.

À bientôt.